Setna

Le texte ci-dessous est un dialogue / Interview entre le Collectif Sesame et Alain Lebon (producteur de Setna & Xing Sa via le label Soleil Zeuhl). Ce dialogue est destiné à continuer au fil du temps et au fil des sujets qui sembleront importants d'aborder pour promouvoir les musiques que nous aimons.

Nicolas Candé : Bonjour Alain, après quinze années d'existence, le label Soleil Zeuhl dont tu es le fondateur va révéler de nouvelles parutions en 2013.

Tout d'abord, peux tu nous expliquer ce qui a motivé l'appellation "Soleil Zeuhl" en tant qu'enseigne stylistique pour le label et quelle est sa relation subtile avec le groupe Magma , lequel est le fondateur de ce mouvement musical ?

Alain Lebon : Au départ (1998), il a fallu trouver un nom au label. Après quelques errements autour de noms divers ( Aotearoa records - la terre du long nuage blanc en langue Maorie, du fait de ma passion pour la Nouvelle-Zélande - a longtemps tenu la corde, Happy Rabbit - après trop d'écoutes rapprochées du Camembert électrique de Gong !! - a vécu quelque temps mais ça ne faisait pas sérieux ; outre quelques autres noms oubliés depuis), le nom de Soleil Zeuhl s'est imposé progressivement. Comme le concept de base du label était d'illustrer l'influence qu'a eue (et qu'a toujours) Magma sur divers groupes ou musiciens, j'ai trouvé séduisante l'idée du rayonnement associé au mot Soleil.

La notion de Soleil a en fait eu pour source d'inspiration le morceau « Soleil d'Ork » de Janik Top qui figure sur l'album « Udu Wudu » de Magma.

Comme il fallait un qualificatif associé (Soleil tout seul, ça fait un peu recherche du tube d'été !), "Zeuhl" s'est ensuite très vite accolé derrière. Ce terme Zeuhl a bien sûr été créé par Christian Vander dans les années 70 pour qualifier la musique de Magma - et de Magma seulement - mais je l'ai plutôt pris dans le sens commun qui s'est répandu dans les chroniques de disques à compter des années 80 (le terme est notamment utilisé très couramment au sein de "la discographie du rock Français" éditée par Musea à cette époque là, même si ce n'est probablement pas là qu'il faut en chercher l'origine). J'ai trouvé que cela sonnait bien phonétiquement, que cela illustrait parfaitement le concept du label et que s'agissant d'une distribution underground ciblée vers un public informé le nom était en adéquation avec le contenu, ce que des dénominations plus abstraites, fussent-elles phonétiquement agréables, ne permettent pas.

Au fil du temps et des réalisations, ce nom a suscité chez moi quelques interrogations périodiques car le mot Zeuhl, même pris dans son sens (très) banalisé par l'usage, n'est pas défini et s'il est d'application peu discutable pour des groupes comme Eskaton ou plus récemment Corima, c'est beaucoup moins net pour Scherzoo, Xing-Sa et quelques autres productions du label. Il y a cependant comme un fil conducteur que je ne suis pas seul à percevoir car les fidèles du label n'ont jamais émis de critiques sur cet aspect des choses.

Ceci étant, après 15 ans de vie et 34 disques au compteur pour SZ, je ressens l'envie de produire des musiques qui restent relativement proches de cet univers mais sans s'y inscrire vraiment, du type RIO, électronique, voire ambient, des musiques qui font aussi partie de ma vie. Après avoir beaucoup tourné autour de l'idée de ce renouvellement, j'ai décidé de passer à l'acte en 2013 et de lancer Soleil Mutant. Pour capitaliser sur le passé de SZ, j'ai gardé "Soleil" mais en y ajoutant un terme cette fois dénué de signification musicale et qui, au contraire, peut potentiellement ouvrir des portes sur tous les univers musicaux, dès lors qu'ils sont non conventionnels. SZ définissait une limite, certes floue mais néanmoins réelle, tandis que SM ouvre large les possibilités. La première réalisation de SM sera l'album de The Arches , groupe Bielorusse issu de la dissolution de Rational Diet (3 Cds publiés en Italie par le label Altrock). Pour la suite on verra, aucun plan pour l'heure : comme pour les débuts de SZ, du pas à pas, des tâtonnements successifs... en espérant que le public de SZ (petit mais fidèle) suive. SZ n'est pas mort pour autant, il continuera à vivre sous son nom et avec les mêmes musiques que précédemment.

Ceci étant Nicolas, puisque nous sommes en cours de préparation du second album de Setna , il y a un choix qui t'est maintenant ouvert quant au label qui le produira. Que préfères-tu : SZ dans la continuité de "Cycle 1" ou bien préfères-tu inaugurer, conjointement avec The Arches, Soleil Mutant ?

Nicolas Candé : Disons que l'album à venir, tout en étant différent sur le plan des textures sonores, se trouve dans la continuité du "Cycle I" et referme une période durant laquelle nous avons cherché à traiter des sujets qui nous semblaient utiles pour celui ou celle qui souhaite nous accompagner dans une réflexion / méditation sur la vie.

Le "Cycle I" raconte l'histoire d'une progression intérieure qui mène à l'autonomie et au rayonnement de notre être profond. "Guérison" (l'album à venir) comporte trois choses :

•  "Cycle II" qui est la mise en application du Cycle I dans la vie quotidienne et transfigure notre être dans la vie réelle.

•  "Triptyque" qui raconte l'histoire d'une humanité et son positionnement dans un contexte vivant qui lui est proposé et ses grandes difficultés à résoudre correctement des situations critiques.

•  Enfin, le morceau "Guérison" qui invite chacun d'entre nous au bien-être, à résoudre ses problèmes par la douceur et l'acceptation plutôt que par la force et le combat.

Tu auras compris Alain, que le prochain Setna sera davantage du côté "Soleil Zeuhl" pour un esprit de cohérence vis à vis du premier. Cependant, les disques à venir peuvent probablement s'inscrire dans une dynamique moins "Zeuhl" car Setna cherche évidement son identité propre sans dériver derrière le navire MAGMA que nous avons beaucoup aimé et dont nous avons tiré de nombreux enseignements.

Dans un autre domaine, Soleil Zeuhl a récemment réédité en vinyle l'album EROS du groupe DÜN. Vinyle blanc, étiquettes différentes selon les faces, reproduction d'une affiche d'époque, tirage limité à 300 exemplaires... tu nous as gâté ! Y aura-t-il d'autre parutions en vinyle à l'avenir ? Ce marché semble vivre actuellement une seconde jeunesse, quel est ton avis à ce sujet ?

Alain Lebon : A titre personnel, après une longue période un peu moutonnière durant laquelle je n'ai plus acheté que du CD, je reviens de plus en plus vers le support vinyle : beauté du support, sensation tactile et même meilleure qualité du son (moins fatiguant, plus harmonieux). Tout le monde n'est toutefois pas d'accord sur ce dernier point…

Pour ce qui est du label j'ai beaucoup hésité car si le vinyle ré-existe pour les artistes les plus connus, sur certains créneaux bien précis comme les rééditions 60s, la musique psychédélique, la techno et tous ses dérivés, le jazz… il est quasi-absent sur le front des musiques approchant celles publiées par SZ.

J'ai choisi DÜN pour 1 er essai car c'est une réédition et aussi la meilleure vente historique du label depuis l'origine. Quatre mois après la sortie du disque, le bilan est mitigé car avec seulement 300 exemplaires fabriqués, s'il y avait eu un intérêt vraiment fort il n'y aurait déjà plus de stock ; ce qui n'est pas le cas. Toutefois, avec tout de même 200 ventes à ce jour, cela permet d'envisager d'autres éditions vinyles. Mais par contre centrées sur les rééditions, car sur le segment des enregistrements récents je pressens de vraies difficultés car le public n‘est pas tout à fait le même. D'ailleurs, sur un plan plus large que ce sujet précis, je regrette depuis plus de 10 ans que même en CD, les ventes des rééditions soient quasi systématiquement très largement supérieures à celles des albums récents.

S'agissant d'une petite série, alors peut-être sans lendemain, j'ai voulu un objet de qualité, aussi bien sur le plan visuel (alternance de noir et blanc : pochette intérieure, couleur du vinyle, labels) que sur la qualité de pressage (fabrication Pallas, mastering vinyle chez Parélies à Paris). Je suis très content du résultat… mais j‘étais un peu stressé avant la livraison !

D'une manière générale, j'ai lu quelques articles qui présentaient le vinyle comme le possible avenir de l'industrie du disque, argument basé sur le fait que les ventes sont en forte augmentation alors que les ventes de CD continuent à baisser. Pour ma part, je n'y crois pas du tout car ce support est aujourd'hui acheté par la frange de clientèle très motivée et pas par le grand public (que chacun vérifie autour de lui, les réponses à un questionnement sur le vinyle sont toujours : «ça craque», «c'est fragile», «ça prend de la place» etc...). Quant aux ventes, ne pas perdre de vue que partant de très bas, il est très facile (au début) d'afficher un taux de croissance à 2 chiffres. En outre, l'objet est vendu plus cher que le CD, ce qui est un frein notable (il est aussi bien plus cher à fabriquer). Par contre, si je ne crois pas à son avenir vis-à-vis du grand public, je suis convaincu que le support restera vivace très longtemps pour toutes les musiques suscitant des passions.

Personne ne sait ce qui va se passer durant les années à venir sur le plan des supports de la musique, mais on pourrait très bien imaginer une très forte montée en puissance de la dématérialisation, une baisse inexorable et probablement définitive du CD et une stabilisation du vinyle destiné aux mélomanes. L'histoire est à écrire et personne n'y voit clair sur cette question, y compris dans les «vraies» maisons de disques.

Concernant SZ, il y aura un second vinyl en 2013 : ESKATON «4 visions» dont ce sera, contrairement à DÜN, la toute première édition sur ce support (l'album a été publié uniquement en cassette en 1979, avant d‘être réédité en CD).

Nicolas Candé : Ce sera une bonne nouvelle pour tous les amateurs de musiques progressives et de vinyles de constater qu'un label comme SZ continue d'aller dans ce sens malgré les difficultés encourues. Nous produisons une musique qui ne répond pas aux normes des médias, par conséquent il reste toujours difficile d'établir un pronostique sur les ventes. Les concerts restent des moments privilégiés pour les ventes d'albums, c'est une manière très naturelle pour le public de repartir chez lui avec une partie du "rêve" qu'il a vécu durant ce moment de partage musical.

Crois-tu qu'un festival Soleil Zeuhl réunissant quelques groupes du label serait un évènement porteur pour diffuser toute ces musiques ?
Alain Lebon : L'idée d'un festival Soleil Zeuhl a été un long cheminement car j'ai toujours vu le label comme un vecteur de diffusion de disques, la notion d'évènement live étant totalement absente de mes intentions de départ. Au fil du temps j'ai assisté à la quasi impossibilité pour les groupes du label d'exister en live, quelles que soient leurs régions d'origine et les nuances musicales qu'ils offrent. La seule exception étant One Shot, exception d'ailleurs toute relative car leurs quelques prestations scéniques sont concentrées quasi- exclusivement sur quelques terres d'accueil comme le Triton ou la Cave à Musique à Macon.

En réalité, la difficulté a exister en live pour toutes les musiques issues de mouvances médiatiquement marginalisées (dont le RIO, mais pas uniquement), résulte de la grande dispersion géographique des amateurs (Europe, USA, Japon…), ce qui empêche de réunir en un même endroit plus que quelques dizaines de spectateurs (et encore, parfois moins…). Cette dispersion n'est pas un problème pour le disque du fait de nombreux relais régionaux pour la distribution (et encore moins si l'on évoque la dématérialisation des supports) ; mais pour la musique live c'est quasi insurmontable.

Un jour une idée a germé, avec pour déclencheur initial un message sur le forum «Progressive ears» qui disait que le festival RIO 2012 était d'une durée bien trop courte (2 jours au lieu de 3, à titre exceptionnel) pour qu'il soit envisageable de se déplacer depuis les Etats-Unis. J'ai commencé à me dire que peut-être je pouvais essayer de faire synergie et inciter avec un festival SZ plus de gens à se déplacer depuis l'étranger, sous réserve évidemment d'une parfaite compatibilité de date entre les deux évènements.

Sur le papier je trouve l'idée séduisante, mais pour ce qui est du succès on verra ! Dans l'immédiat, je cherche une salle à Paris, facilement accessible en métro, pas chère, correctement équipée et pas trop grande (si nous avons une centaine de personnes, ce sera à mon sens un succès malgré la grande modestie de ce chiffre dans l‘absolu). C'est un risque certain car je n'ai strictement aucune idée de ce qui se passera, n'ayant aucun passé en ce domaine.

Inutile de préciser que le soutien médiatique sera nul, le faire-savoir résultant des forums et newsgroups, de Facebook, des relations des groupes, de la liste de diffusion du label etc... On y verra toutefois déjà plus clair vers le début d'été 2013 car je mettrai en place un système de réservation (simple) en ligne, qui sera évidemment nécessaire pour sécuriser tous ceux qui viendront de loin.

Sur le plan concret, les groupes participants pourraient être Unit Wail, Setna, Neom, Scherzoo et One Shot. Pour des problèmes de budget - et aussi pour ne dépasser la durée d'une journée - il n'est pas envisageable de faire jouer Corima (USA) et The Arches (Biélorussie) bien que les deux seraient partants pour cette aventure.

La date retenue - la seule possible en fait, pour laisser le temps aux participants de se rendre à Carmaux pour le vendredi 20 septembre - est le mercredi 18 septembre 2013.

Ceci étant, tout ceci est au conditionnel car tant que tous les préalables n'auront pas été réunis (location de la salle, éventuellement du matériel, finalisation des budgets avec les groupes…) je ne peux pas garantir que l'évènement aura bel et bien lieu. Dans l'idéal, si cet évènement pouvait contribuer à fédérer les initiatives, générer des rencontres et servir de caisse de résonance pour le label, ce serait super. A suivre donc…